Il y a un peu plus d'un an, saisie d'un élan d'optimisme, de courage et de confiance en moi, j'ai participé à un concours de nouvelles à destination des enfants de 8-10 ans (les nouvelles, hein, pas le concours). Mon texte n'a pas été retenu (aarf), mais comme je l'aime bien quand même, je vous le mets ici !
Cliquez cliquez pour lire !! Et scrollez scrollez, y'a des images à la fin !
Mon cœur est une boussole
Estelle Mercier, c'est ma presque sœur, ma
meilleure amie, à la vie à la mort. Et pourtant, ça ne fait pas si
longtemps qu'on se connaît, toutes les deux. Nos parents ne se
fréquentaient pas avant même notre naissance et nous n'avons pas
grandi ensemble. En réalité, nous nous sommes rencontrées
seulement au début de l'année scolaire, le jour de la rentrée,
dans la classe de CM1 de Mme Dubreuil.
Dès qu'Estelle est entrée dans la salle, j'ai
tout de suite flashé sur son look, et quand, parmi toutes les places
disponibles, elle a choisi de s'asseoir à côté de moi, je me suis
sentie extrêmement fière. Elle a 10 ans, comme moi, mais elle
s'habille déjà comme une adolescente. Ce jour-là, je m'en souviens
parfaitement, elle portait une jupe en jean sur une paire de leggings
brillants, un top à motifs et sa paire de lunettes fétiche, celle
avec les épaisses montures rose fluo. Au début, je pense que j'ai
dû lui faire l'effet d'une cruche, silencieuse et empotée. Je
n'osais pas ouvrir la bouche parce que Mme Dubreuil est super sévère
avec les élèves qui bavardent. Mais Estelle m'a adressé la parole
sans avoir l'air de remarquer mon embarras et, deux minutes plus
tard, on gloussait toutes les deux comme des folles. Mme Dubreuil n'a
pas apprécié...
Estelle, je t'adore. Dès qu'on est ensemble,
je me sens bien. Je rigole sans penser à mon ignoble appareil
dentaire. On parle de l'école sans que j'angoisse à propos des
menaces de redoublement. Le temps passe en un éclair et tout devient
facile. Estelle, je sais que ton prénom vient du mot étoile et,
c'est vrai, tu es ma petite lumière.
-Lisa ! Estelle ! Ça suffit les
filles, nous hurle maman, au pied de l'escalier. Il faut dormir
maintenant !
Immédiatement, nous suspendons nos bavardages
et attendons, silencieuses, que ma mère retourne dans le salon.
C'est difficile de rester sérieuse alors que je vois ma meilleure
amie, les deux mains plaquées sur la bouche, qui se retient
d'éclater de rire.
Nous sommes au tout début des grandes
vacances. L'année de CM1 s'est terminée sans catastrophes et,
Alléluia, je passe en CM2 ! Je ne me rappelle même plus
pourquoi j'angoissais tellement. Après tout, ma moyenne est plutôt
bonne. Bien sûr, ça n'a pas empêché papa de râler pour la forme,
en prétendant que j'aurai pu m'appliquer davantage. Mais je sais
qu'en réalité, il est soulagé.
Ce soir, Estelle est venue dormir à la maison.
Allongées côte à côte sur mon lit, nous sommes complètement
absorbées par notre projet. Estelle a toujours des idées drôles et
originales. Aujourd'hui, elle a proposé que nous écrivions dès
maintenant la rédaction incontournable qu'on nous demandera
certainement à la prochaine rentrée scolaire : racontez vos
vacances. Elle trouve que c'est beaucoup plus amusant que
d'attendre la fin de l'été, et je suis parfaitement d'accord.
Alors, au lieu de dormir comme maman nous l'a ordonné, nous
imaginons nos vacances idéales. Nous décrivons un safari-photo en
Afrique, sur la piste des grands fauves de la savane, l'ascension de
l'Everest, avec piolets et sherpas, une croisière de rêve sur le
Nil, où nous jouerions les grandes dames.
-Tu comprends, si je veux devenir une actrice
célèbre, je dois travailler sur mes capacités à me représenter
des scènes inventées, m'explique Estelle pour la dixième fois,
avec une pointe de vanité dans la voix.
Je m'amuse à la taquiner :
-À un tel niveau d'invraisemblance, ce n'est
plus un exercice de théâtre, mais un mensonge pur et simple.
Estelle attrape la fraise Tagada que je tenais
à la main et la glisse entre ses lèvres avant de se jeter sur moi
pour me chatouiller. Je gigote de toute mes forces pour tenter de lui
échapper lorsque la porte de ma chambre s'ouvre à toute volée.
C'est maman sur le seuil, l'air furax.
-Non mais vous savez l'heure qu'il est ?
Vous allez m'obéir et éteindre la lumière !
-Ouais ben, de toute façon, j'vois pas comment
on pourrait dormir avec tout ce boucan, je rétorque.
Ma mère se dirige vers la chambre de mon frère
et tambourine à sa porte.
-Ludo, tu arrêtes ta musique, crie-t-elle.
Le bruit disparaît et maman revient nous
lancer un regard entendu. Cette fois, je crois qu'on ferait mieux de
suivre ses ordres.
Je suis contente d'avoir imaginé tous ces
voyages extraordinaires dans ma rédaction, parce que je sais que
nous ne partirons pas pour les vacances. Papa dit que, cette année,
c'est un peu compliqué, mais qu'on se rattrapera en hiver. Il faut
voir le bon côté des choses : Estelle aussi va rester ici tout
l'été. Sa mère, Mme Mercier, occupe un poste important dans une
agence de voyage et elle ne peut absolument pas s'absenter en ce
moment. Elle travaille sans relâche. Du coup, nous sommes toutes les
deux bloquées dans cette petite ville déserte mais, au moins, on
est ensemble. Depuis la fin des cours, soit je vais chez elle, soit
elle vient chez moi. Nos parents ont fini par comprendre qu'il était
inutile d'essayer de nous séparer.
De temps à autre, quand nous arrivons à en
arracher l'autorisation, nous prenons nos bicyclettes et roulons
jusqu'au centre-ville. On se promène le long du canal dépeuplé. On
fait du lèche-vitrine, on regarde les articles, on tripote tout et
n'importe quoi sans jamais rien acheter. Dans la librairie, nous nous
asseyons par terre dans le rayon des bandes-dessinées et nous lisons
jusqu'à ce que le propriétaire, agacé, nous chasse. Il fait beau,
une température parfaite pour l'oisiveté.
Estelle m'a dit qu'elle aimait bien passer du
temps chez moi. J'ai un peu grimacé en l'apprenant. Elle est fille
unique, alors elle trouve ça sympa, une grande famille chaotique et
désorganisée. Mais je pense qu'elle ne réalise pas ce que ça
fait, de vivre en permanence avec des parents débordés, un grand
frère abruti de 14 ans (Ludovic) et une petite sœur capricieuse de
7 ans (Maëva). Parfois, quand je reçois des invités, ils me font
vraiment honte.
Ce soir, Estelle dîne à la maison. Maëva a
passé toute la journée au centre de loisirs. À peine est-elle
installée à table qu'elle parle de son amoureux, Lucas.
-Quoi ! Ma fille a un amoureux !
En voulant faire le pitre, papa exagère
tellement sa réaction qu'il manque de renverser le plat de
spaghettis à la bolognaise. Maman sourit.
-Eh oui, mon chéri. Tes filles sont de vraies
beautés. Tu va devoir t'habituer à ce qu'elles aient beaucoup de
prétendants.
Mon père se tourne vers moi.
-Et toi, Lisa, tu n'as rien à dire à ce
propos ? Qu'est-ce que tu me caches ?
Je rougis jusqu'aux oreilles, au milieu des
rires de tout le monde.
Je ne comprends pas cette fixation de la part
des parents. À ce moment, un souvenir me revient en mémoire.
Pendant l'année scolaire, en janvier, ma copine Claire est venue me
voir à la récréation. Elle m'a dit, sur le ton du secret :
-Lisa, Bastien est amoureux de toi. Il veut
savoir si tu veux bien sortir avec lui.
Devant ma mine embarrassée, elle a ajouté :
-Mais je crois qu'Alexandre aussi t'aime bien.
Alors, qu'est-ce que tu décides ?
-Ben, je sais pas, j'ai bafouillé. J'ai pas du
tout envie de sortir avec eux, moi.
-Comment ça ? Tu dois choisir !
a-t-elle insisté.
Au final, je n'ai rien fait, et les deux
garçons ont laissé tomber.
Ce genre de choses me laisse vraiment perplexe.
À l'école, lorsque deux élèves sortent officiellement ensemble,
ils se promènent partout main dans la main. Ils ne font plus rien
d'autre que de rester coller l'un à l'autre. Soudain, leurs
attitudes changent, comme s'ils jouaient à un jeu aux règles
mystérieuses pour toutes les personnes extérieures. Tout ça me
semble extrêmement ennuyeux. Les garçons cherchent toujours à
attirer l'attention des filles et les filles font plein de manières
devant les garçons. C'est fatigant ! De mon côté, je n'ai pas
envie de rire exprès aux blagues de Bastien, même si je sais
maintenant qu'il les fait pour moi. Je ne me sens pas flattée quand
Alexandre me montre du doigt à ses copains. Ce que je veux, c'est
pouvoir m'amuser avec mes amis et éviter de me prendre la tête avec
toutes ces bêtises.
Mon père m'a vraiment mise mal à l'aise lors
de ce dîner. De toute façon, je préfère quand je vais chez
Estelle. Sa maison est tellement silencieuse, paisible. Chez elle,
personne ne vient nous embêter, on peut être tranquille.
J'adore sa grande chambre mansardée, aménagée
dans les combles. Elle reflète à la perfection le caractère de ma
meilleure amie, ses goûts, sa fantaisie, son dynamisme. C'est un
vaste espace de création. Estelle a le droit d'y faire tout ce
qu'elle veut.
Elle choisit les meubles, aménage et décore
comme elle l'entend. Trois des quatre parois et même le plafond sont
recouverts d'ornements bariolés : posters de groupes de
musique, cartes postales et souvenirs de voyage, affiches de films,
photos de famille, attrape-rêves, lumignons et banderoles de fêtes.
Sur le dernier mur, celui de l'entrée, Estelle a peint une grande
fresque abstraite. Il y a des éclats de rouge, de longues courbes
violettes et des tâches jaune pétant. C'est très beau et très
poétique.
J'aime également beaucoup l'ameublement de
cette pièce, avec son lit double d'adulte, son immense bureau, et la
longue bibliothèque qui déborde de bandes dessinées et de mangas.
On se croirait dans les pages d'un des
magazines de décoration de ma mère, un peu froid, un peu glacé,
s'il ne régnait pas désordre in-des-crip-tible ! Les objets
renversés, les feuilles de papier répandues au sol, les jolis
vêtements dispersés partout sur les meubles. Le détail qui amène
toute la vie et la légèreté à l'ensemble.
Quand je suis chez Estelle, elle et moi ne
redescendons que pour manger. Sinon, on peut passer tout notre temps
à l'étage sans s'ennuyer une minute. C'est une chambre
merveilleuse, tout à fait à l'image de sa propriétaire.
Estelle est la plus ravissante fille que j'aie
jamais rencontrée. Elle a le corps souple et élancé d'une
ballerine. Elle imprime une grâce infinie à chacun de ses gestes.
Ses longs cheveux bruns lui tombent jusqu'au bas du dos ;
souvent, elle les rassemble dans une natte qui ondule quand elle
marche.
Quand je la regarde, je me perds dans la
perfection de son visage. Des traits fins, délicats, sans défaut.
Estelle rayonne comme une princesse, une reine, une elfe ou une fée,
en tout cas une créature fantastique et irréelle, le genre de
personne qu'on ne rencontre d'ordinaire que dans les rêves. Parfois,
je me dis que j'aimerais devenir elle, pouf, en un coup de baguette
magique. Mais, presque immédiatement, je réalise que j'occupe une
place privilégiée dans son cœur, celle de sa plus proche
confidente, et que je peux à loisir profiter de ma complicité avec
cette fille exceptionnelle.
Voilà où j'en suis ! J'habite avec une
famille qui, même si elle m'étouffe parfois un peu, se montre
toujours affectueuse. J'ai de bonne notes, enfin... des notes
correctes. Je suis en bonne santé. Et surtout, ma meilleure amie est
la fille la plus formidable au monde. La vie se révèle plutôt
agréable. Qu'est-ce que je pourrais souhaiter de plus ?
Les vacances se déroulent à la perfection et,
sans que je m'en sois rendue compte, elles touchent déjà à leur
fin. Bientôt, ce sera de nouveau les courses de fournitures
scolaire, puis la rentrée et son programme à respecter, la routine
du quotidien. Finalement, pas besoin de longs voyages ou de dizaines
d'activités organisées, Estelle et moi avons passé le plus heureux
des étés. Même si on a pu quelquefois se chamailler, nous ne
sommes jamais restées fâchées plus d'une journée.
Durant ces vacances, je pense que j'ai vraiment
compris le sens du mot « intimité ». L'intimité, c'est
quand on est tellement proche de quelqu'un, que, parfois, on a
l'impression d'être une seule et même personne. Je trouve cette
sensation agréable et aussi très confortable.
Aujourd'hui, tout de suite après le déjeuner,
je pars rejoindre Estelle chez elle. Elle est dans sa chambre, assise
sur son lit, et je vois immédiatement que quelque chose la tracasse.
Je connais bien Estelle. Je sais que, malgré
toute l'assurance qu'elle affiche, elle est très sensible, peut-être
même un peu fragile. Ce jour-là, elle me paraît extrêmement
triste. Je m'assoie à côté d'elle et cherche à savoir ce qui la
trouble ; c'est mon rôle de meilleure amie de me montrer à
l'écoute ! Il ne faut pas longtemps avant qu'elle ne me raconte
tout. Elle s'inquiète à propos de ses parents. Ils se disputent de
plus en plus souvent, de plus en plus violemment. Elle ne comprend
pas le sujet de leur colère mais elle sent que c'est grave.
Peut-être même assez grave pour que l'un des deux quitte la maison.
Les parents d'une de nos
camarades de la classe de CM1, Émilie, sont divorcés. Elle dort une
semaine chez sa mère, une semaine chez son père. Pour les congés,
pareil, c'est moitié-moitié. Plusieurs fois, elle est arrivée à
l'école sans son matériel, ou ses cahiers, ou ses devoirs, qu'elle
avait oubliés chez l'un ou l'autre de ses parents. Elle nous a déjà
avoué que l'ambiance chez elle lui devenait insupportable. Son père
et sa mère font toujours plein de problèmes pour tout et n'importe
quoi, et c'est elle qui doit jouer les messagers.
Ce récit a beaucoup impressionné Estelle et,
en ce moment que ses parents se disputent beaucoup, elle angoisse à
l'idée de vivre la même chose. Alors, pour alléger sa peine, elle
me parle. Elle me raconte que ses parents ne sont jamais d'accord sur
rien, ni sur ses grands-parents, ni sur l'argent dépensé, ou les
loisirs. Son père veut bien que la famille prenne un chien, sa mère
refuse. Son père aimerait qu'Estelle reste plus longtemps le soir en
étude, mais sa mère préfère qu'elle rentre directement après les
cours...
Estelle pleure pour de bon maintenant. Je fais
tout mon possible pour la consoler. Je cherche à la rassurer sur le
comportement de ses parents, je plaisante pour lui changer les idées.
Après tout, les parents sont des créatures étranges,
imprévisibles. Inutile d'essayer de deviner l'avenir d'après ce
qu'ils font.
Je lui parle de mon père, qui s'obstine à
cuisiner malgré ses échecs successifs : soufflés raplapla,
gratins carbonisés, pâtes en bouillie... Je lui parle de ma mère
qui nous ordonne de participer aux corvées, mais qui ne supporte pas
quand les choses ne soient pas faites exactement à sa manière, et
qui repasse toujours derrière nous pour tout changer. Non,
décidément, on ne peut pas comprendre les parents. Il faudrait,
pour ça, inventer une machine à traduction, un robot qu'on aurait
toujours sur nous quand les parents viennent nous parler. Et il
devrait aussi expliquer leurs actes.
Estelle sourit derrière ses sanglots, mais je
vois bien qu'elle reste débordée de chagrin. A la voir ainsi, toute
fragile, les larmes mouillant ses beaux yeux, je me sens portée vers
elle par un élan de tendresse. Je voudrais effacer sa tristesse,
détruire les inquiétudes qui rongent son cœur. Je la serre de
toutes mes forces dans mes bras et, sans réfléchir un seul instant,
dépose sur ses lèvres le baiser d'un preux chevalier blanc.
Je n'ai pas réfléchi, j'ai juste fait ce dont
j'avais envie. Je me recule et constate l'expression éberluée sur
le visage d'Estelle. Nous avons l'air toutes les deux aussi surprises
l'une que l'autre.
J'ai agi par instinct et, maintenant, je ne
sais plus quoi faire. Je me sentais tellement proche de mon amie,
tellement bien en sa présence. Sa peau est si douce... que je me
suis laissée emportée ! Ça ressemble au baiser maladroit
qu'Antoine, un camarade de classe, à volé un jour à Justine, sous
le préau de l'école.
À ce moment, alors que je suis là, hésitante,
un peu perdue, je réalise soudain que nous ne sommes pas seules dans
la chambre. Le père d'Estelle se tient sur le pas de la porte, la
bouche grande ouverte, le regard fixé sur nous. Il ne dit rien, il a
l'air complètement abasourdi. Ma meilleure amie baisse les yeux et
mordille sa lèvre inférieure, comme si elle n'avait pas du tout
envie d'être ici. Je me demande si son père est fâché contre moi
et j'ai peur, peur qu'il se mette en colère. Finalement, il referme
sa bouche et, en avalant sa salive avec difficulté, il me dit d'une
voix blanche :
-Prends tes affaires, Lisa. Je te ramène chez
toi.
Je guette un signe d'Estelle qui me pousserait
à rester, à m'expliquer, mais elle garde la tête baissée. Le
visage cramoisi, je suis M. Mercier jusqu'à sa voiture.
Le retour se passe sans un seul mot. À peine
M. Mercier a-t-il arrêté la voiture devant ma boîte aux lettres
que je bondis à l'extérieur en bafouillant un vague « Merci,
bonne journée ». Je traverse le jardin en un éclair, grimpe
dans l'escalier à toute allure et me précipite dans ma chambre.
J'ai juste eu le temps d'entendre ma mère me crier depuis le salon :
-C'est toi Lisa ? Tu es déjà revenue ?
Je n'ai pas envie de lui parler. Je suis
réfugiée dans ma chambre, la porte fermée, et j'essaie de calmer
ma respiration. Peut-être que, à ce moment même, le père
d'Estelle est entré chez moi et qu'il est en train de parler à ma
mère, de tout lui raconter. Je tends l'oreille, le cœur battant,
mais tout reste calme en bas. J'ai les jambes qui tremblent encore,
alors je m'écroule sur mon lit. Je me sens horriblement mal.
J'ai du mal à comprendre ce qui s'est passé
dans la chambre d'Estelle. Tout est confus dans ma tête. Je me rends
compte à présent que, même si mon geste a été inspiré par des
sentiments sincères, il pourrait m'attirer de gros problèmes. J'ai
tellement honte que je voudrais disparaître. Je voudrais rapetisser
à une taille si réduite que j'en deviendrais invisible. Mais c'est
impossible. Je suis piégée.
Quelqu'un frappe doucement à la porte et
l'entrouvre sans attendre de réponse. C'est Ludovic, mon frère. Il
passe la tête par l'interstice et me demande :
-Tu vas bien ?
Je ne peux pas lui répondre. J'ai un poids
énorme sur la poitrine et une grosse boule dans la gorge.
Mon frère s'approche lentement et s'assoit sur
le lit. Puis, sans dire un mot, il me serre dans ses bras. C'est
vraiment rare, que mon frère se montre gentil avec moi. Toute cette
journée est bizarre, et là, c'est la goutte de trop. J'explose en
sanglots. Je n'arrive pas à arrêter mes larmes qui secouent tout
mon corps. Mon nez coule sur le tee-shirt de Ludovic, mais il ne râle
même pas. Au contraire, il me serre encore plus fort contre lui en
me répétant :
-Ça va aller. Ce n'est pas si grave. Tout va
s'arranger, tu verras. Ce n'est pas grave...
Les vacances se sont terminées sans que je
revoie Estelle. Alors j'ai pris du temps pour réfléchir à tout ce
qui s'était passé. Cet été restera le plus étrange et sans doute
le plus important de toute ma vie. Mais, maintenant, je peux y
repenser sans ressentir cette horrible douleur dans la poitrine et je
me suis rendue compte que je n'avais rien commis de désastreux.
Heureusement, mes parents n'ont pas cherché à connaître la raison
pour laquelle je ne fréquente plus Estelle. Je ne sais pas s'ils se
montrent délicats par miracle, ou alors si mon frère a joué les
intermédiaires auprès d'eux. En tout cas, j'en suis très contente
car je n'ai pas envie de parler de ce qui s'est passé, pas envie de
rendre ces événements plus graves qu'ils ne le sont en vérité.
J'ai l'impression que cette situation est comme une blessure, très
douloureuse sur le moment, mais qui a désormais cicatrisé. J'en
garde un souvenir parfois un peu pénible, souvent inconfortable, et
pourtant essentiel car j'ai appris beaucoup de chose sur moi et sur
les autres.
Il y a quelques jours, c'était la rentrée et
ma première journée au CM2. Je ne suis plus dans la même classe
qu'Estelle, mais je l'ai vu dans la cour. Alors j'ai pris mon courage
à deux mains et je suis allée lui parler. Elle avait l'air
embarrassée mais pas fâchée contre moi. Elle m'a demandé comment
j'allais. Elle m'a annoncé que ses parents avaient finalement
accepté de l'inscrire dans ce cours de théâtre qui lui faisait
tellement envie. J'en suis ravie pour elle. La cloche a sonné et,
avant que je m'en aille, Estelle m'a serrée dans ses bras. Je sais
bien qu'on ne sera jamais plus aussi proche qu'avant mais, malgré
tout, elle occupera toujours une place importante dans ma vie. En fin
de compte, c'est mon frère qui avait raison. Même si j'ai eu si mal
sur le moment, tout ça n'est pas si grave. Je rencontrerai beaucoup
d'autres personnes et certaines deviendront des amis proches. Je
vivrai beaucoup de situations, parfois heureuses, parfois moins.
Malgré tout, j'ai hâte de découvrir ce qui m'attend.
Je ne peux pas savoir comment se passera la
suite mais je m'inquiète moins qu'avant, car mon cœur est une
boussole, et je suivrais toujours la direction que son aiguille
m'indique.
▁▁▁▁▁▁▁▁▁▁▁▁▁▁▁▁▁
Vous avez lu jusqu'ici ? Wahoo, bravo ! Alors voici une petite illustration d'Estelle et Lisa pour fêter ça !
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