lundi 30 janvier 2017

Un peu de lecture


Il y a un peu plus d'un an, saisie d'un élan d'optimisme, de courage et de confiance en moi, j'ai participé à un concours de nouvelles à destination des enfants de 8-10 ans (les nouvelles, hein, pas le concours). Mon texte n'a pas été retenu (aarf), mais comme je l'aime bien quand même, je vous le mets ici !

Cliquez cliquez pour lire !! Et scrollez scrollez, y'a des images à la fin !





Mon cœur est une boussole


Estelle Mercier, c'est ma presque sœur, ma meilleure amie, à la vie à la mort. Et pourtant, ça ne fait pas si longtemps qu'on se connaît, toutes les deux. Nos parents ne se fréquentaient pas avant même notre naissance et nous n'avons pas grandi ensemble. En réalité, nous nous sommes rencontrées seulement au début de l'année scolaire, le jour de la rentrée, dans la classe de CM1 de Mme Dubreuil.
Dès qu'Estelle est entrée dans la salle, j'ai tout de suite flashé sur son look, et quand, parmi toutes les places disponibles, elle a choisi de s'asseoir à côté de moi, je me suis sentie extrêmement fière. Elle a 10 ans, comme moi, mais elle s'habille déjà comme une adolescente. Ce jour-là, je m'en souviens parfaitement, elle portait une jupe en jean sur une paire de leggings brillants, un top à motifs et sa paire de lunettes fétiche, celle avec les épaisses montures rose fluo. Au début, je pense que j'ai dû lui faire l'effet d'une cruche, silencieuse et empotée. Je n'osais pas ouvrir la bouche parce que Mme Dubreuil est super sévère avec les élèves qui bavardent. Mais Estelle m'a adressé la parole sans avoir l'air de remarquer mon embarras et, deux minutes plus tard, on gloussait toutes les deux comme des folles. Mme Dubreuil n'a pas apprécié...

Estelle, je t'adore. Dès qu'on est ensemble, je me sens bien. Je rigole sans penser à mon ignoble appareil dentaire. On parle de l'école sans que j'angoisse à propos des menaces de redoublement. Le temps passe en un éclair et tout devient facile. Estelle, je sais que ton prénom vient du mot étoile et, c'est vrai, tu es ma petite lumière.


-Lisa ! Estelle ! Ça suffit les filles, nous hurle maman, au pied de l'escalier. Il faut dormir maintenant !
Immédiatement, nous suspendons nos bavardages et attendons, silencieuses, que ma mère retourne dans le salon. C'est difficile de rester sérieuse alors que je vois ma meilleure amie, les deux mains plaquées sur la bouche, qui se retient d'éclater de rire.

Nous sommes au tout début des grandes vacances. L'année de CM1 s'est terminée sans catastrophes et, Alléluia, je passe en CM2 ! Je ne me rappelle même plus pourquoi j'angoissais tellement. Après tout, ma moyenne est plutôt bonne. Bien sûr, ça n'a pas empêché papa de râler pour la forme, en prétendant que j'aurai pu m'appliquer davantage. Mais je sais qu'en réalité, il est soulagé.
Ce soir, Estelle est venue dormir à la maison. Allongées côte à côte sur mon lit, nous sommes complètement absorbées par notre projet. Estelle a toujours des idées drôles et originales. Aujourd'hui, elle a proposé que nous écrivions dès maintenant la rédaction incontournable qu'on nous demandera certainement à la prochaine rentrée scolaire : racontez vos vacances. Elle trouve que c'est beaucoup plus amusant que d'attendre la fin de l'été, et je suis parfaitement d'accord. Alors, au lieu de dormir comme maman nous l'a ordonné, nous imaginons nos vacances idéales. Nous décrivons un safari-photo en Afrique, sur la piste des grands fauves de la savane, l'ascension de l'Everest, avec piolets et sherpas, une croisière de rêve sur le Nil, où nous jouerions les grandes dames.
-Tu comprends, si je veux devenir une actrice célèbre, je dois travailler sur mes capacités à me représenter des scènes inventées, m'explique Estelle pour la dixième fois, avec une pointe de vanité dans la voix.
Je m'amuse à la taquiner :
-À un tel niveau d'invraisemblance, ce n'est plus un exercice de théâtre, mais un mensonge pur et simple.
Estelle attrape la fraise Tagada que je tenais à la main et la glisse entre ses lèvres avant de se jeter sur moi pour me chatouiller. Je gigote de toute mes forces pour tenter de lui échapper lorsque la porte de ma chambre s'ouvre à toute volée. C'est maman sur le seuil, l'air furax.
-Non mais vous savez l'heure qu'il est ? Vous allez m'obéir et éteindre la lumière !
-Ouais ben, de toute façon, j'vois pas comment on pourrait dormir avec tout ce boucan, je rétorque.
Ma mère se dirige vers la chambre de mon frère et tambourine à sa porte.
-Ludo, tu arrêtes ta musique, crie-t-elle.
Le bruit disparaît et maman revient nous lancer un regard entendu. Cette fois, je crois qu'on ferait mieux de suivre ses ordres.

Je suis contente d'avoir imaginé tous ces voyages extraordinaires dans ma rédaction, parce que je sais que nous ne partirons pas pour les vacances. Papa dit que, cette année, c'est un peu compliqué, mais qu'on se rattrapera en hiver. Il faut voir le bon côté des choses : Estelle aussi va rester ici tout l'été. Sa mère, Mme Mercier, occupe un poste important dans une agence de voyage et elle ne peut absolument pas s'absenter en ce moment. Elle travaille sans relâche. Du coup, nous sommes toutes les deux bloquées dans cette petite ville déserte mais, au moins, on est ensemble. Depuis la fin des cours, soit je vais chez elle, soit elle vient chez moi. Nos parents ont fini par comprendre qu'il était inutile d'essayer de nous séparer.

De temps à autre, quand nous arrivons à en arracher l'autorisation, nous prenons nos bicyclettes et roulons jusqu'au centre-ville. On se promène le long du canal dépeuplé. On fait du lèche-vitrine, on regarde les articles, on tripote tout et n'importe quoi sans jamais rien acheter. Dans la librairie, nous nous asseyons par terre dans le rayon des bandes-dessinées et nous lisons jusqu'à ce que le propriétaire, agacé, nous chasse. Il fait beau, une température parfaite pour l'oisiveté.

Estelle m'a dit qu'elle aimait bien passer du temps chez moi. J'ai un peu grimacé en l'apprenant. Elle est fille unique, alors elle trouve ça sympa, une grande famille chaotique et désorganisée. Mais je pense qu'elle ne réalise pas ce que ça fait, de vivre en permanence avec des parents débordés, un grand frère abruti de 14 ans (Ludovic) et une petite sœur capricieuse de 7 ans (Maëva). Parfois, quand je reçois des invités, ils me font vraiment honte.
Ce soir, Estelle dîne à la maison. Maëva a passé toute la journée au centre de loisirs. À peine est-elle installée à table qu'elle parle de son amoureux, Lucas.
-Quoi ! Ma fille a un amoureux !
En voulant faire le pitre, papa exagère tellement sa réaction qu'il manque de renverser le plat de spaghettis à la bolognaise. Maman sourit.
-Eh oui, mon chéri. Tes filles sont de vraies beautés. Tu va devoir t'habituer à ce qu'elles aient beaucoup de prétendants.
Mon père se tourne vers moi.
-Et toi, Lisa, tu n'as rien à dire à ce propos ? Qu'est-ce que tu me caches ?
Je rougis jusqu'aux oreilles, au milieu des rires de tout le monde.
Je ne comprends pas cette fixation de la part des parents. À ce moment, un souvenir me revient en mémoire. Pendant l'année scolaire, en janvier, ma copine Claire est venue me voir à la récréation. Elle m'a dit, sur le ton du secret :
-Lisa, Bastien est amoureux de toi. Il veut savoir si tu veux bien sortir avec lui.
Devant ma mine embarrassée, elle a ajouté :
-Mais je crois qu'Alexandre aussi t'aime bien. Alors, qu'est-ce que tu décides ?
-Ben, je sais pas, j'ai bafouillé. J'ai pas du tout envie de sortir avec eux, moi.
-Comment ça ? Tu dois choisir ! a-t-elle insisté.
Au final, je n'ai rien fait, et les deux garçons ont laissé tomber.
Ce genre de choses me laisse vraiment perplexe. À l'école, lorsque deux élèves sortent officiellement ensemble, ils se promènent partout main dans la main. Ils ne font plus rien d'autre que de rester coller l'un à l'autre. Soudain, leurs attitudes changent, comme s'ils jouaient à un jeu aux règles mystérieuses pour toutes les personnes extérieures. Tout ça me semble extrêmement ennuyeux. Les garçons cherchent toujours à attirer l'attention des filles et les filles font plein de manières devant les garçons. C'est fatigant ! De mon côté, je n'ai pas envie de rire exprès aux blagues de Bastien, même si je sais maintenant qu'il les fait pour moi. Je ne me sens pas flattée quand Alexandre me montre du doigt à ses copains. Ce que je veux, c'est pouvoir m'amuser avec mes amis et éviter de me prendre la tête avec toutes ces bêtises.

Mon père m'a vraiment mise mal à l'aise lors de ce dîner. De toute façon, je préfère quand je vais chez Estelle. Sa maison est tellement silencieuse, paisible. Chez elle, personne ne vient nous embêter, on peut être tranquille.

J'adore sa grande chambre mansardée, aménagée dans les combles. Elle reflète à la perfection le caractère de ma meilleure amie, ses goûts, sa fantaisie, son dynamisme. C'est un vaste espace de création. Estelle a le droit d'y faire tout ce qu'elle veut.
Elle choisit les meubles, aménage et décore comme elle l'entend. Trois des quatre parois et même le plafond sont recouverts d'ornements bariolés : posters de groupes de musique, cartes postales et souvenirs de voyage, affiches de films, photos de famille, attrape-rêves, lumignons et banderoles de fêtes. Sur le dernier mur, celui de l'entrée, Estelle a peint une grande fresque abstraite. Il y a des éclats de rouge, de longues courbes violettes et des tâches jaune pétant. C'est très beau et très poétique.
J'aime également beaucoup l'ameublement de cette pièce, avec son lit double d'adulte, son immense bureau, et la longue bibliothèque qui déborde de bandes dessinées et de mangas.
On se croirait dans les pages d'un des magazines de décoration de ma mère, un peu froid, un peu glacé, s'il ne régnait pas désordre in-des-crip-tible ! Les objets renversés, les feuilles de papier répandues au sol, les jolis vêtements dispersés partout sur les meubles. Le détail qui amène toute la vie et la légèreté à l'ensemble.
Quand je suis chez Estelle, elle et moi ne redescendons que pour manger. Sinon, on peut passer tout notre temps à l'étage sans s'ennuyer une minute. C'est une chambre merveilleuse, tout à fait à l'image de sa propriétaire.

Estelle est la plus ravissante fille que j'aie jamais rencontrée. Elle a le corps souple et élancé d'une ballerine. Elle imprime une grâce infinie à chacun de ses gestes. Ses longs cheveux bruns lui tombent jusqu'au bas du dos ; souvent, elle les rassemble dans une natte qui ondule quand elle marche.
Quand je la regarde, je me perds dans la perfection de son visage. Des traits fins, délicats, sans défaut. Estelle rayonne comme une princesse, une reine, une elfe ou une fée, en tout cas une créature fantastique et irréelle, le genre de personne qu'on ne rencontre d'ordinaire que dans les rêves. Parfois, je me dis que j'aimerais devenir elle, pouf, en un coup de baguette magique. Mais, presque immédiatement, je réalise que j'occupe une place privilégiée dans son cœur, celle de sa plus proche confidente, et que je peux à loisir profiter de ma complicité avec cette fille exceptionnelle.

Voilà où j'en suis ! J'habite avec une famille qui, même si elle m'étouffe parfois un peu, se montre toujours affectueuse. J'ai de bonne notes, enfin... des notes correctes. Je suis en bonne santé. Et surtout, ma meilleure amie est la fille la plus formidable au monde. La vie se révèle plutôt agréable. Qu'est-ce que je pourrais souhaiter de plus ?

Les vacances se déroulent à la perfection et, sans que je m'en sois rendue compte, elles touchent déjà à leur fin. Bientôt, ce sera de nouveau les courses de fournitures scolaire, puis la rentrée et son programme à respecter, la routine du quotidien. Finalement, pas besoin de longs voyages ou de dizaines d'activités organisées, Estelle et moi avons passé le plus heureux des étés. Même si on a pu quelquefois se chamailler, nous ne sommes jamais restées fâchées plus d'une journée.
Durant ces vacances, je pense que j'ai vraiment compris le sens du mot « intimité ». L'intimité, c'est quand on est tellement proche de quelqu'un, que, parfois, on a l'impression d'être une seule et même personne. Je trouve cette sensation agréable et aussi très confortable.

Aujourd'hui, tout de suite après le déjeuner, je pars rejoindre Estelle chez elle. Elle est dans sa chambre, assise sur son lit, et je vois immédiatement que quelque chose la tracasse.
Je connais bien Estelle. Je sais que, malgré toute l'assurance qu'elle affiche, elle est très sensible, peut-être même un peu fragile. Ce jour-là, elle me paraît extrêmement triste. Je m'assoie à côté d'elle et cherche à savoir ce qui la trouble ; c'est mon rôle de meilleure amie de me montrer à l'écoute ! Il ne faut pas longtemps avant qu'elle ne me raconte tout. Elle s'inquiète à propos de ses parents. Ils se disputent de plus en plus souvent, de plus en plus violemment. Elle ne comprend pas le sujet de leur colère mais elle sent que c'est grave. Peut-être même assez grave pour que l'un des deux quitte la maison.

Les parents d'une de nos camarades de la classe de CM1, Émilie, sont divorcés. Elle dort une semaine chez sa mère, une semaine chez son père. Pour les congés, pareil, c'est moitié-moitié. Plusieurs fois, elle est arrivée à l'école sans son matériel, ou ses cahiers, ou ses devoirs, qu'elle avait oubliés chez l'un ou l'autre de ses parents. Elle nous a déjà avoué que l'ambiance chez elle lui devenait insupportable. Son père et sa mère font toujours plein de problèmes pour tout et n'importe quoi, et c'est elle qui doit jouer les messagers.
Ce récit a beaucoup impressionné Estelle et, en ce moment que ses parents se disputent beaucoup, elle angoisse à l'idée de vivre la même chose. Alors, pour alléger sa peine, elle me parle. Elle me raconte que ses parents ne sont jamais d'accord sur rien, ni sur ses grands-parents, ni sur l'argent dépensé, ou les loisirs. Son père veut bien que la famille prenne un chien, sa mère refuse. Son père aimerait qu'Estelle reste plus longtemps le soir en étude, mais sa mère préfère qu'elle rentre directement après les cours...

Estelle pleure pour de bon maintenant. Je fais tout mon possible pour la consoler. Je cherche à la rassurer sur le comportement de ses parents, je plaisante pour lui changer les idées. Après tout, les parents sont des créatures étranges, imprévisibles. Inutile d'essayer de deviner l'avenir d'après ce qu'ils font.
Je lui parle de mon père, qui s'obstine à cuisiner malgré ses échecs successifs : soufflés raplapla, gratins carbonisés, pâtes en bouillie... Je lui parle de ma mère qui nous ordonne de participer aux corvées, mais qui ne supporte pas quand les choses ne soient pas faites exactement à sa manière, et qui repasse toujours derrière nous pour tout changer. Non, décidément, on ne peut pas comprendre les parents. Il faudrait, pour ça, inventer une machine à traduction, un robot qu'on aurait toujours sur nous quand les parents viennent nous parler. Et il devrait aussi expliquer leurs actes.
Estelle sourit derrière ses sanglots, mais je vois bien qu'elle reste débordée de chagrin. A la voir ainsi, toute fragile, les larmes mouillant ses beaux yeux, je me sens portée vers elle par un élan de tendresse. Je voudrais effacer sa tristesse, détruire les inquiétudes qui rongent son cœur. Je la serre de toutes mes forces dans mes bras et, sans réfléchir un seul instant, dépose sur ses lèvres le baiser d'un preux chevalier blanc.

Je n'ai pas réfléchi, j'ai juste fait ce dont j'avais envie. Je me recule et constate l'expression éberluée sur le visage d'Estelle. Nous avons l'air toutes les deux aussi surprises l'une que l'autre.
J'ai agi par instinct et, maintenant, je ne sais plus quoi faire. Je me sentais tellement proche de mon amie, tellement bien en sa présence. Sa peau est si douce... que je me suis laissée emportée ! Ça ressemble au baiser maladroit qu'Antoine, un camarade de classe, à volé un jour à Justine, sous le préau de l'école.

À ce moment, alors que je suis là, hésitante, un peu perdue, je réalise soudain que nous ne sommes pas seules dans la chambre. Le père d'Estelle se tient sur le pas de la porte, la bouche grande ouverte, le regard fixé sur nous. Il ne dit rien, il a l'air complètement abasourdi. Ma meilleure amie baisse les yeux et mordille sa lèvre inférieure, comme si elle n'avait pas du tout envie d'être ici. Je me demande si son père est fâché contre moi et j'ai peur, peur qu'il se mette en colère. Finalement, il referme sa bouche et, en avalant sa salive avec difficulté, il me dit d'une voix blanche :
-Prends tes affaires, Lisa. Je te ramène chez toi.
Je guette un signe d'Estelle qui me pousserait à rester, à m'expliquer, mais elle garde la tête baissée. Le visage cramoisi, je suis M. Mercier jusqu'à sa voiture.

Le retour se passe sans un seul mot. À peine M. Mercier a-t-il arrêté la voiture devant ma boîte aux lettres que je bondis à l'extérieur en bafouillant un vague « Merci, bonne journée ». Je traverse le jardin en un éclair, grimpe dans l'escalier à toute allure et me précipite dans ma chambre. J'ai juste eu le temps d'entendre ma mère me crier depuis le salon :
-C'est toi Lisa ? Tu es déjà revenue ?
Je n'ai pas envie de lui parler. Je suis réfugiée dans ma chambre, la porte fermée, et j'essaie de calmer ma respiration. Peut-être que, à ce moment même, le père d'Estelle est entré chez moi et qu'il est en train de parler à ma mère, de tout lui raconter. Je tends l'oreille, le cœur battant, mais tout reste calme en bas. J'ai les jambes qui tremblent encore, alors je m'écroule sur mon lit. Je me sens horriblement mal.
J'ai du mal à comprendre ce qui s'est passé dans la chambre d'Estelle. Tout est confus dans ma tête. Je me rends compte à présent que, même si mon geste a été inspiré par des sentiments sincères, il pourrait m'attirer de gros problèmes. J'ai tellement honte que je voudrais disparaître. Je voudrais rapetisser à une taille si réduite que j'en deviendrais invisible. Mais c'est impossible. Je suis piégée.

Quelqu'un frappe doucement à la porte et l'entrouvre sans attendre de réponse. C'est Ludovic, mon frère. Il passe la tête par l'interstice et me demande :
-Tu vas bien ?
Je ne peux pas lui répondre. J'ai un poids énorme sur la poitrine et une grosse boule dans la gorge.
Mon frère s'approche lentement et s'assoit sur le lit. Puis, sans dire un mot, il me serre dans ses bras. C'est vraiment rare, que mon frère se montre gentil avec moi. Toute cette journée est bizarre, et là, c'est la goutte de trop. J'explose en sanglots. Je n'arrive pas à arrêter mes larmes qui secouent tout mon corps. Mon nez coule sur le tee-shirt de Ludovic, mais il ne râle même pas. Au contraire, il me serre encore plus fort contre lui en me répétant :
-Ça va aller. Ce n'est pas si grave. Tout va s'arranger, tu verras. Ce n'est pas grave...

Les vacances se sont terminées sans que je revoie Estelle. Alors j'ai pris du temps pour réfléchir à tout ce qui s'était passé. Cet été restera le plus étrange et sans doute le plus important de toute ma vie. Mais, maintenant, je peux y repenser sans ressentir cette horrible douleur dans la poitrine et je me suis rendue compte que je n'avais rien commis de désastreux. Heureusement, mes parents n'ont pas cherché à connaître la raison pour laquelle je ne fréquente plus Estelle. Je ne sais pas s'ils se montrent délicats par miracle, ou alors si mon frère a joué les intermédiaires auprès d'eux. En tout cas, j'en suis très contente car je n'ai pas envie de parler de ce qui s'est passé, pas envie de rendre ces événements plus graves qu'ils ne le sont en vérité. J'ai l'impression que cette situation est comme une blessure, très douloureuse sur le moment, mais qui a désormais cicatrisé. J'en garde un souvenir parfois un peu pénible, souvent inconfortable, et pourtant essentiel car j'ai appris beaucoup de chose sur moi et sur les autres.

Il y a quelques jours, c'était la rentrée et ma première journée au CM2. Je ne suis plus dans la même classe qu'Estelle, mais je l'ai vu dans la cour. Alors j'ai pris mon courage à deux mains et je suis allée lui parler. Elle avait l'air embarrassée mais pas fâchée contre moi. Elle m'a demandé comment j'allais. Elle m'a annoncé que ses parents avaient finalement accepté de l'inscrire dans ce cours de théâtre qui lui faisait tellement envie. J'en suis ravie pour elle. La cloche a sonné et, avant que je m'en aille, Estelle m'a serrée dans ses bras. Je sais bien qu'on ne sera jamais plus aussi proche qu'avant mais, malgré tout, elle occupera toujours une place importante dans ma vie. En fin de compte, c'est mon frère qui avait raison. Même si j'ai eu si mal sur le moment, tout ça n'est pas si grave. Je rencontrerai beaucoup d'autres personnes et certaines deviendront des amis proches. Je vivrai beaucoup de situations, parfois heureuses, parfois moins. Malgré tout, j'ai hâte de découvrir ce qui m'attend.

Je ne peux pas savoir comment se passera la suite mais je m'inquiète moins qu'avant, car mon cœur est une boussole, et je suivrais toujours la direction que son aiguille m'indique.


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Vous avez lu jusqu'ici ? Wahoo, bravo ! Alors voici une petite illustration d'Estelle et Lisa pour fêter ça !











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